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5 octobre 2017 4 05 /10 /octobre /2017 16:04

Faire de l'histoire, selon des méthodes scientifiques pour tendre vers la vérité des faits, reste encore aujourd'hui un combat.

Illustration avec l'affaire de Montalembert (Deux-Sèvres)

Premier épisode : des historiens contestent le texte d'une plaque destinée à commémorer l'arrestation d'une famille juive (article paru dans La Nouvelle République du 23 septembre 2017)

La plaque commémorative pour la cérémonie qui doit avoir lieu samedi 7 octobre, à la mémoire d'une famille polonaise arrêtée en 1942 à Montalembert, déportée puis exécutée à Auschwitz, fait des vagues. Les historiens deux-sévriens référents sur la période, consultés par la municipalité, avaient proposé la mention (1) « arrêtés sur ordre de l'occupant nazi par des gendarmes français ».Ils ont été recalés.

A leur projet, Jean-Marie Deschodt et son conseil municipal ont préféré mentionner une arrestation « à la demande du Troisième Reich avec la complicité du gouvernement de Vichy » (sic). Ce, au terme d'une réunion préparatoire tendue en mairie de Montalembert le 1 erseptembre avec ladite représentation historienne et celle des associations patriotiques du Souvenir français et de l'Anacr.

" Censure mensonge par omission ! " Les historiens s'insurgent. « La mention des gendarmes français a disparu. Censure, mensonge par omission ! C'est un cas de censure analogue à celui de Parthenay il y a quelques années »,s'emporte Dominique Tantin, le professeur agrégé et docteur en histoire niortais, plusieurs ouvrages à son actif sur cette sombre période en Deux-Sèvres.

Co-auteur de ce texte avec Thérèse Pouplain, veuve de Jean-Marie Pouplain dont les recherches avaient éclairé l'histoire des persécutions des juifs dans les Deux-Sèvres, Dominique Tantin avait préparé ce texte en concertation aussi avec Florence et Jacques Bachmann, représentant la communauté juive des deux-Sèvres, et l'historien niortais Michel Chaumet, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, chercheur associé à l'Institut d'histoire du temps présent, unité de recherche du CNRS.

Mensonge par omission ? « Pour éviter que ça recommence, est-ce qu'il est besoin de fustiger les lampistes ? Nous savons que la bête immonde n'est pas morte »,répond en substance le maire de Montalembert qui confie avoir « arrêté le projet au terme de 25 maquettes ».

Ce dernier, qui se pose en chantre du consensus et promet de conclure son discours par un « " Je suis juif " comme le " Nous sommes Charlie " »lors de sa cérémonie du 7 octobre, évoque aussi pour sa défense le fait que l'exposition de l'Onac, « Désobéir pour sauver », sera présentée en parallèle à la cérémonie dans la bibliothèque de la commune.

A-t-il subi des pressions ? « Je ne voulais pas le bordel dans ma commune. On m'a dit qu'une telle plaque prendrait un coup de masse dès le lendemain… Vous avez vu le pourcentage de FN dans cette commune ? »,répond le maire, excédé. Montalembert, 263 âmes, 229 en âge de voter, commune à l'extrême sud-est des Deux-Sèvres… avait d'ailleurs choisi les extrêmes à la dernière présidentielle, en portant Marine Le Pen en tête à égalité avec Jean-Luc Mélenchon au premier tour (25,15 %) et Le Pen largement au-dessus de son score national avec 41,94 % au second tour.

nr.niort@nrco.fr

(1) La proposition des historiens était la suivante : « A la mémoire des juifs arrêtés sur ordre de l'occupant nazi par des gendarmes français à La Tuilerie de Montalembert, déportés et assassinés à Auschwitz : Syprinça Klayner, le 21 août 1942 ; Daniel et Dora Niewiadynski née Tadyka et leurs enfants : Anna 16 ans, Bernard 14 ans, Félix 12 ans, polonais, et Marcel, français, 8 ans, le 9 octobre 1942. N'oublions jamais ! »

repères

« L'omission » des gendarmes sur la plaque commémorative de Montalembert n'est pas sans faire penser à la commémoration de la discorde, à Parthenay, le dimanche 25 avril 2010, comme le rappelle ici Dominique Tantin. Dans la tourmente, Xavier Argenton, alors maire de Parthenay, avait suscité une vive polémique dont s'était même fait écho la presse nationale. Le maire de Parthenay avait interdit la lecture par des collégiens d'un témoignage mettant en cause les gendarmes de Vichy, lors de la cérémonie qui se tenait à l'occasion de la Journée nationale du souvenir de la déportation. Ce texte était l'œuvre d'Ida Grinspan, ancienne déportée, qui y racontait en détail son arrestation de 1944… par des gendarmes. Sitôt connu le projet de plaque commémorative de Montalembert, Dominique Tantin en a d'ailleurs informé Ida Grinspan.

à chaud

" Pas le choix "

« Je n'étais pas non plus d'accord pour porter la mention des gendarmes. Ils obéissaient et n'avaient pas le choix. On se retrouve aujourd'hui en présence de gens qui n'ont pas connu cette époque, on est souvent dans la réécriture de l'histoire », répond le colonel Philippe Jaubert, délégué général du Souvenir français en Deux-Sèvres, à propos du choix de ne pas inscrire sur la plaque commémorative que ce sont des gendarmes français qui ont arrêté cette famille de Montalembert en 1943.
Solidarité de corps, peur de « froisser » les gendarmes d'aujourd'hui ? « Ce n'est pas du tout la question. Pour un recueillement mémoriel est-il besoin de remuer les douleurs du passé ? », s'interroge Philippe Jaubert. Jean-Marie Deschodt, le maire de Montalembert, indique pour autant « qu'il n'était pas question de jeter l'opprobre sur une profession mais bien de rendre hommage à ces pauvres gens morts déportés avec la complicité du régime de Vichy. L'idée, c'était aussi un message de paix ».

Sébastien Acker

Deuxième épisode : la réponse du maire parue dans le quotidien La Nouvelle République du 3 octobre :

Des historiens sont vent debout contre la plaque rendant hommage, samedi 7 octobre (1), à une famille juive arrêtée à Montalembert en 1942, exécutée à Auschwitz : consultés par le maire de Montalembert, ils avaient émis le souhait de voir porté sur la plaque commémorative le fait que l’arrestation avait été opérée « sur ordre de l’occupant nazi par des gendarmes français ». La plaque ne portera pas la mention des « gendarmes français » ; ces historiens locaux ont crié à la « censure, au mensonge par omission » (NR du 23 septembre).
Après la parution de notre article, Jean-Marie Deschodt, le maire de Montalembert, s’insurge à son tour des « conséquences de nature à jeter le trouble et le discrédit sur les maîtres d’œuvre d’une commémoration qui en aucun instant ne s’est voulue autre chose qu’un hommage à quatre enfants et trois adultes assassinés en 1942 d’une manière des plus abjectes, pris dans les multiples rouages d’une machine implacable », souhaitant que cet hommage soit « vecteur d’un message », « pour que leur image oubliée puisse contribuer au réveil des consciences face à toutes les formes d’extrémisme et de totalitarisme présents ou sous-jacents dans le monde. Message accompagné par les enfants de la commune et ceux de Verrines-sous-Celles qui participeront au déroulement de cette manifestation dédiée à la mémoire et dont ils seront, j’espère, porteurs pour leur vie entière ».
Le maire ajoute : « “ L’important n’est pas la vérité historique, mais ce que l’on veut que l’histoire en retienne ” : à cette phrase attribuée à Bonaparte, j’ajouterai qu’elle soit porteuse d’espoirs pour l’avenir plutôt que de haine ! Je ne tiens pas à entrer en polémique avec les historiens dont la vision réelle de faits survenus il y a 75 ans est exacte et imprime une tache indélébile dans l’histoire de notre nation. Je comprends leur amertume et leur soif de vengeance et de vérité, surtout au regard ce que certains d’entre eux ont subi dans leur chair. Je comprends leur point de vue et à leur place il me serait certainement aussi impossible de pardonner, et je les respecte. Mon message est ailleurs : cette mise en cause donne raison à tous ceux qui étaient d’avis de ne rien faire […] Partie non immergée d’un iceberg qui a représenté six mois de travail, ce texte a été élaboré et approuvé en consensus, par un groupe dont la liberté et l’indépendance n’ont d’égales que ma propre liberté, et le respect d’une décision prise selon les règles, et il ne peut exister d’autres pressions en dehors des principes que nous dicte notre démocratie. Le projet a par ailleurs été présenté à Monsieur Haim Korsia, Grand rabbin de France et vice-président du Souvenir français, et a bénéficié du soutien d’organismes représentatifs liés à la mémoire ».

 

Troisième épisode : la réponse des  historiens Michel Chaumet et Dominique Tantin

La vérité, rien que la vérité, mais toute la vérité

Monsieur le Maire,

En tant qu’historiens spécialistes de la seconde guerre mondiale, nous nous sommes sentis mis en cause par les propos qui vous sont attribués tels qu’ils ont été rapportés dans la Nouvelle République du 3 octobre.

Mêlant peut-être de façon confuse historiens et victimes, vous jugez que la demande de vérité historique qui a été exprimée jette le « discrédit » sur votre engagement mémoriel, que cette demande pouvait être porteuse de « haine » et qu’elle serait animée par « l’amertume » et « la soif de vengeance » : rien moins que cela.

Nous avons envie de vous dire : Monsieur le Maire, un peu de calme et de retenue, s’il vous plait !

Concernant votre action pour honorer la famille juive arrêtée à Montalembert le 9 octobre 1942, nous ne pouvons que la louer et vous en féliciter.

Mais, pour avoir été, pour l’un d’entre nous – Michel Chaumet - avec Thérèse Pouplain, à l’origine de l’érection de la stèle départementale proche de la gare de Niort, et l’avoir inaugurée avec la participation de Dominique Tantin, de ses élèves et de notre amie Ida Grinspan en 2012, nous pensons n’avoir à recevoir de leçon de personne en la matière.

Pour ce qui concerne le travail historien, il se fait aujourd’hui avec des méthodes scientifiques qui excluent toute composante sentimentale ou affective et sur des sources documentaires variées au rang desquelles les archives constituent un élément de premier plan. Son objectif est bien d’établir des faits qui approchent autant que faire se peut la vérité.

Nous tenons donc à votre disposition les documents qui établissent clairement que les Juifs de Montalembert ont bien été arrêtés par des gendarmes français sur ordre du préfet régional exécutant lui-même un ordre allemand.

Affirmer cela ne constitue en rien une quelconque mise en cause des forces de sécurité d’aujourd’hui qui accomplissent un travail remarquable dans un contexte difficile. L’histoire ne dit rien sur le présent, même si elle le génère.

Plus que jamais, on ne peut que souscrire aux propos du Président Jacques Chirac lors de la commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv’ le 16 juillet 1995 : « Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l'Etat. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c'est tout simplement défendre une idée de l'Homme, de sa liberté et de sa dignité. »

Aussi, à la formule de Napoléon que vous faites vôtre : « L’important n’est pas la vérité historique », permettez-nous de préférer cette exigence : « La vérité, rien que la vérité, mais toute la vérité » !

 

Michel CHAUMET

Agrégé de l’Université

Chercheur-associé à l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS)

 

Dominique TANTIN

Historien, agrégé d’histoire-géographie et docteur en histoire

Président de l’Association Pour un Maitron des Fusillés et Exécutés (PMFE)

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