A partir de 1943, se constituent peu à peu les mouvements paramilitaires qui préparent l'action destinée à la Libération du pays. En Deux-Sèvres, le principal d'entre eux est constitué par l'OCM (Organisation Civile et Militaire). Mais ce mouvement est décimé dès le mois d'août 1943 par une grande vague d'arrestations. Est-ce une conséquence de "l'affaire Grandclément" ?
Delahaye, chef régional du mouvement
C'est Didier Delahaye, originaire de La Chapelle Saint-Laurent, qui est à l'origine du développement de l'OCM dans le Nord des Deux-Sèvres, et particulièrement dans le Thouarsais, dans le Bocage et en Gâtine.
Delahaye est un militaire de carrière, qui a fait une brillante carrière. Mais il est mis en congé forcé par l'irruption des Allemands en zone Sud, en novembre 1942. Il retourne alors s'installer à La Chapelle Saint-Laurent.
Peu après, contacté par André Grandclément qui a monté un noyau OCM important à Bordeaux et dans le Sud-Ouest, il accepte de devenir le responsable pour la région de Poitiers. Désormais et jusqu'en juillet 1943, Delahaye (pseudo Jérôme) cumule donc la responsabilité de la région du Poitou (Vienne, Deux-Sèvres et Vendée) et du département des Deux-Sèvres où il réside.
Grandclément a fait appel à lui pour deux raisons. D'abord parce qu'il est officier de carrière et que la plupart des cadres de l'OCM régional ont été recrutés dans la filière militaire. Ensuite parce que ses idées politiques rejoignent celles de Grandclément, issu d'une famille conservatrice et maurrassienne, résolument anticommuniste. Didier Delahaye le rejoint tout à fait sur ce point. Son adjoint direct est un jeune lieutenant. Frédéric Jouffrault est plutôt chargé du développement de l'OCM en Vendée et en Deux-Sèvres. Mais comme il habite en Vendée à Chaillé-les-Marais, il juge préférable de faire porter ses principaux efforts sur ce département. Dans les Deux-Sèvres, c'est donc son camarade d'école militaire Pierre (prénom Jean) qui prend, de fait, la deuxième place derrière Delahaye jusqu'en juin 1943.
C'est lui qui permet l'incorporation du groupe constitué autour d'Eugène Brisset à Parthenay (avec notamment André Bouchet et Georges Guignard) dans l'OCM et qui prépare l'intégration du Mouvement anonyme organisé par Edmond Proust.
Cependant, les trois principaux responsables de l'OCM (Delahaye, Jouffrault, Pierre) qui avaient le gros avantage d'être des militaires de carrière, avaient une grande méconnaissance du milieu et des hommes. Il leur fallait un relais local, capable de les mettre en rapport avec les résistants dont ils auraient besoin pour réaliser leur mission principale: les parachutages. C'est Roger Hélier qui a joué ce rôle-clé de charnière entre les dirigeants et les résistants de base.
Mission essentielle, car elle était, au départ, la raison d'être du mouvement. Et c'est par elle que le mouvement s'étoffe, puisque chaque opération nécessite le recrutement d'une bonne dizaine de résistants locaux. Autant dire que Roger Hélier, aidé de Jean Pierre, a joué un rôle considérable dans l'extension de l'OCM dans le Nord des Deux-Sèvres.
Des armes comme s'il en pleuvait
C'est dans le Nord du département, et surtout entre Parthenay et Thouars, que les hommes de l'OCM sont les plus nombreux et les plus actifs au début de l'année 1943. Leur première et principale mission, indispensable pour pouvoir préparer toute offensive militaire, est de réceptionner les armes en provenance de Londres. Il leur faut donc rechercher les terrains les plus appropriés et convaincre leurs propriétaires de coopérer à la réception des armes ou, au minimum, de ne pas éveiller les soupçons par des bavardages inconsidérés. Il faut que les terrains soient à la fois faciles à repérer par les aviateurs alliés et suffisamment éloignés des stationnements allemands pour que ces derniers ne détectent rien ou ne puissent intervenir trop rapidement.
De mars à juillet 1943, les parachutages d'armes se multiplient donc.
Fin juillet, grâce à l'action de Didier Delahaye, de Frédéric Jouffrault, de Jean Pierre et surtout de Roger Hélier, l'inlassable responsable des opérations aériennes, l'OCM a récupéré environ 20 tonnes d'armes, cachées en sept dépôts éparpillés dans toute la partie Nord du département.
Les arrestations
Mais le drame survient au début du mois d'août 1943. Les Allemands multiplient les arrestations dans tous les groupes OCM du Nord Deux-Sèvres. Et le 20 août, après l'arrestation des membres les plus actifs des groupes de Thouars, Bressuire et Parthenay, soit 35 personnes, on peut estimer que l'OCM est en grande partie décapitée, puisque la Gestapo a mis hors d'état d'agir la véritable tête du mouvement, établie dans la partie Nord du département.
La grande vague d'arrestation s'achève avec l'arrestation de son chef départemental Didier Delahaye qui réussit à s'enfuir mais n'échappe pas très longtemps aux recherches de la Gestapo parisienne. Il est pris le 11 octobre.
En un peu plus de deux mois, les Allemands ont porté un coup très dur à l'OCM, en procédant à 52 arrestations. En janvier 1944, ils en déportèrent 42 en Allemagne et 24 y laissèrent la vie.
Pour beaucoup, simples citoyens et patriotes, ces hommes qui n'appartenaient pas tous directement à l'OCM, mais qui avaient voulu, par leur action, participer à la grande œuvre de libération de leur pays, ont fini dans les camps nazis - et en particulier à Buchenwald - victimes d'une barbare extermination.
Une conséquence de l'affaire Grandclément ?
De nombreux résistants, lorsqu'ils évoquent ces grandes rafles, les imputent sans hésiter à André Grandclément. Et ils en font le coupable absolu, responsable de tous leurs malheurs. Mais ils avouent tous détenir leur information des bruits et rumeurs qui ont couru après la guerre, plus que d'une véritable information contrôlée et vérifiée.
En fait, après une étude très minutieuse de la chronologie de « l'affaire Grandclément » et des sources disponibles, il apparaît que rejeter la responsabilité des arrestations de cette dure période sur Grandclément est assurément un brin mystificateur. S'il a joué un rôle dans cette affaire, c'est de façon marginale et indirecte. Par contre, faire de Grandclément le coupable suprême avait un gros avantage: celle de rejeter sur un responsable soupçonné de trahison les responsabilités encourues par d'autres acteurs locaux ou régionaux. Responsabilités au demeurant excusables car liées à la fragilité, à la faiblesse, à l'ignorance ou à l'imprudence plus qu'à la malignité ou à la trahison.