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Ce qu’il est convenu de nommer « l’affaire Grandclément » est probablement l’une des affaires de résistance qui a fait couler le plus d’encre depuis la fin de la seconde guerre mondiale. De même que la question de l’arrestation de Jean Moulin à Caluire en 1943, elle a déclenché des passions et des interprétations fort contradictoires qu’il convient d’éclairer par un rappel des faits.

 

L’OCM du Sud-Ouest est en pleine progression à la fin du printemps 1943, grâce à l’alliance entre le chef régional de l’OCM, Grandclément, et le chef du réseau SOE, Claude de Baissac. Mais ce dernier est en liaison fort peu discrète avec son homologue Francis Suttill, chef du réseau Prosper, essentiellement basé en Ile de France. L’arrestation de ce dernier par la police nazie, le 22 juin 1943, déclenche une série d’arrestations qui atteint également le réseau bordelais.

Parallèlement, des jeunes qui cherchent à rejoindre l'un des maquis de réfractaires au STO organisés par Grandclément sont pris et, de fil en aiguille, par la torture, le plus souvent, les policiers français de la SAP (Section des Affaires politiques) du commissaire Poinsot remontent vers la tête de l'organisation, dirigée par un certain Bernard, pseudo de Grandclément.

Fin juillet, la police française, après de nouvelles arrestations, réussit à percer l'organisation régionale de l'OCM et à effectuer le rapprochement entre les noms de Bernard et de Grandclément.

 

L'affaire passe alors entre les mains des Allemands et, en particulier, entre celles de l'un des responsables du KDS, Friedrich Dohse, l'un des policiers nazis les plus habiles de Bordeaux, qui préfère la persuasion à la torture.

Des perquisitions chez Grandclément et dans une boite aux lettres permettent d’arrêter près de 80 personnes, dont la femme de Grandclément. Finalement, ce dernier est lui-même arrêté, à Paris où il s’est réfugié, le 19 septembre 1943.

Transféré à Bordeaux, il est interrogé par Dohse qui lui propose un étrange marché : soit coopérer avec la police allemande, soit porter la responsabilité de nouvelles arrestations, de la déportation de ses camarades et de la découverte des dépôts d’armes.

Désireux de sauver ses hommes, son organisation et sa femme, Grandclément accepte le marché et, en particulier, de livrer des dépôts d’armes. Remis en liberté, il peut néanmoins prévenir son état-major de sa décision et arguer du fait que certains dépôts d’armes - les moins importants - sont déjà connus des Allemands. Dans les trois semaines qui suivent, ce sont sept dépôts d’armes qui sont ainsi récupérés par le nazi Dohse. En échange, un certain nombre de résistants - et la femme de Grandclément - sont effectivement relâchés et échappent ainsi à la déportation.

Mais Dohse veut aller plus loin. Jouant sur la corde de l’anticommunisme, fort sensible chez Grandclément, et du risque de prise de pouvoir par les communistes au départ des Allemands, il propose d’organiser des « maquis officiels » armés par la Wehrmacht qui auraient pour objectif d’empêcher toute velléité de prise du pouvoir par les « bolcheviques ». A cet effet, le maquis de Lencouacq est « inspecté » par Dohse à la fin octobre 1943, ce qui ne va pas sans de sérieux remous à l’intérieur des forces de l’OCM.


Par ailleurs, Dohse qui a des contacts au sommet dans les milieux nazis de Paris, sentant venir la défaite allemande, souhaite proposer au général De Gaulle une paix séparée entre la France et l’Allemagne. Pour parvenir à ses fins, il utilise les contacts de Grandclément et obtient du chef national de l’OCM, Alfred Touny, qu’il autorise l’envoi d’une mission exploratoire, composée de deux membres éminents de l’OCM régionale, Louis Joubert et André Thinières.

Balayée d’un revers de manche par De Gaulle, cette proposition servira à Dohse, après la guerre, pour tenter de se dédouaner. Il y réussira d’ailleurs en partie puisque son procès, tenu à Bordeaux en 1953, se termine par une condamnation relativement légère à sept ans de travaux forcés.

Mais la mission d’Alger, ajoutée aux maquis officiels et aux livraisons d’armes, sème le trouble dans les esprits et dans les cœurs. Les anciens compagnons de Grandclément se divisent. Certains l’approuvent et lui restent fidèles jusqu’au bout. D’autres éprouvent des doutes et s’éloignent de l’OCM. Certains de ses proches le désavouent totalement et vont lui vouer désormais une inimitié féroce.

 

Ces divergences trouvent écho dans la direction régionale de la Résistance. Le successeur de Grandclément à la tête de l’OCM, Eugène Camplan, est jugé trop favorable à ce dernier par certains, bien qu’il ait pris ses distances par rapport à son ancien « patron ». Ce point de vue est notamment partagé par le Délégué militaire régional, Claude Bonnier, envoyé de Londres pour remettre de l’ordre dans la Résistance aquitaine. Dans un climat de suspicion réciproque, les divergences et l’hostilité entre les deux hommes ne font que croitre jusqu’à leur disparition presque simultanée. En effet, Camplan disparait mystérieusement dans le nord de la Charente le 18 janvier 1944 : aux yeux de certains, c’est Bonnier qui a ordonné sa liquidation. Quant au DMR, il est pris par la Sipo-SD le 8 février 1944 et se suicide pour ne pas parler sous la torture : aurait-il été livré par les amis de Camplan ?

Le climat est désormais totalement empoisonné et l’OCM ne se remettra jamais de ces luttes de clans et de rivalités entre groupes désormais livrés à eux-mêmes. Cette situation fait le jeu de l’Anglais Roger Landes, nouveau chef du SOE régional, qui en profite pour s’imposer comme un homme d’ordre. C’est lui qui commandite l’exécution de Grandclément, abattu par un commando le 27 juillet 1944, peu après que la BBC ait diffusé un message de défiance à son égard.

 

Après la guerre, de nombreux acteurs ou historiens se pencheront sur « l’affaire Grandclément ». La thèse qui prévaut longtemps est celle de la trahison, voire même de la trahison aggravée : trahison de la Résistance et pacte avec l’ennemi. Des auteurs comme Arthur Calmette, Gilles Perrault ou Michel Slitinsky ont repris cette thèse qui a le mérite de la simplicité et qui a longtemps fourni aux résistants de toute la région B une explication à leurs malheurs. Elle permet également d’exonérer de nombreuses personnes de toute responsabilité en la faisant porter sur les épaules d’un seul bouc-émissaire.

Plus récemment, les ouvrages de René Terrisse et de Guy Penaud ont apporté une vision nettement plus nuancée du rôle de Grandclément, mettant en exergue l’importance des libérations obtenues et minorant le volume des armes remises, insistant aussi sur la multiplicité des responsabilités et sur le faisceau de faits enchaînés qui ont conduit à la catastrophe.

Reste que cette affaire a bien conduit à la catastrophe souhaitée par Dohse, c’est-à-dire à l’anéantissement presque complet de la Résistance girondine au moment de la Libération.

 

 

    

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