Comme de nombreux Français, j’ai été ému par la disparition récente de Raymond Aubrac. Mais, au-delà du symbole, mon émotion vient aussi d’un attachement plus personnel à l’homme. En effet, j’avais eu la chance et l’honneur de le rencontrer à plusieurs reprises : d’abord dans des colloques, ensuite en le faisant témoigner devant mes élèves du lycée Jean-Macé ; enfin, plus récemment, chez lui, pour le questionner au sujet de résistants qu’il avait côtoyés et sur lesquels je menais des recherches. A chaque fois, l’admiration envers l’homme d’action le disputait à la qualité de l’échange avec un interlocuteur informé, clair et stimulant.
De ces échanges, je retiens trois éléments.
D’abord, la formidable curiosité d’un homme informé de tout et continuant, même à un âge très avancé, à dessiner en pensée l’avenir du monde. S’il était naturellement très au fait des recherches historiques sur la seconde guerre mondiale, il était loin de se confiner à la mémoire d’un passé glorieux pour le couple qu’il formait avec Lucie. Et son intérêt sur tout ce qui fait la vie des hommes de notre temps (l’économie, la politique, la technique) ne se démentait pas.
Ce qui frappait aussi, chez cet homme plus habitué des cabinets ministériels que des salles de cours, c’était l’inépuisable besoin de transmettre son expérience et sa passion à témoigner auprès de la jeunesse. Sa grande fierté lorsqu’il me reçut voici un an fut de me raconter la soirée qu’il venait de passer, la veille au soir, dans un lycée parisien où il avait échangé avec des dizaines de jeunes sur hier et aujourd’hui. Cela alors même qu’il était sorti de l’hôpital huit jours plus tôt et qu’il marchait difficilement avec une canne.
Enfin, dans un monde où les idées sont volatiles, la constance de ses engagements était admirable. S’il avait rompu avec le parti communiste, il restait fidèle aux idéaux de solidarité et de justice sociale qu’il avait toujours promus. Défenseur comme Hessel ou Cordier du programme du Conseil national de la Résistance, socle fondateur de la France contemporaine, il ne pouvait que s’indigner de voir saper ces fondations et partir à vau l’eau cet idéal de la Résistance, porteur de valeurs républicaines auxquelles peut se référer la jeunesse. C’est ce qui l’avait conduit à apporter son soutien à la candidature de François Hollande.
Raymond Aubrac n’est plus, mais sa parole résonnera encore longtemps.
Paru dans La Nouvelle République du lundi 16 avril 2012